Apprentissage : la réforme booste déjà les formations du supérieur

La loi du 5 septembre 2018 sur la liberté de choisir son avenir professionnel a engagé une réforme systémique de l’apprentissage. La grande bascule du financement et de la régulation s’est effectuée au 1er janvier 2020. Des universités et des écoles se sont déjà emparées de la réforme et enregistrent des résultats prometteurs. Mais dans un marché désormais libéralisé, gare à la casse…

Promulguée le 5 septembre 2018 la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel dite « Avenir pro » est entrée progressivement en vigueur. La loi transfère le pilotage de l’apprentissage des régions aux branches professionnelles. L’année 2019 a vu s’échafauder le nouveau système avec la mise en place de France Compétences la nouvelle autorité publique de financement et de régulation de la formation professionnelle et de l’apprentissage ; ainsi que la structuration des 11 opérateurs de compétences (OPCO) qui ont remplacé les OPCA.

Une réforme systémique

2020 marque une nouvelle étape majeure avec la généralisation du nouveau système de financement de l’apprentissage. Depuis le 1er janvier, le financement s’effectue au contrat : dès lors qu’un jeune et une entreprise ont signé un contrat, le financement est versé au CFA par l’OPCO – via les Urssaf – dont dépend l’employeur de l’apprenti. Le niveau de financement est défini par la branche après recommandation de France Compétences.

La loi débride le système et booste l’offre

« La loi a débridé le système. On a senti un développement rapide ! », se réjouit Vincent Cohas, directeur général du groupe Cesi qui compte une école d’ingénieurs et une école supérieure de l’alternance. Le groupe Cesi a profité de la réforme pour créer son propre CFA, CESI CFA SUP. Dès la rentrée 2019–2020, le CFA comptait 1.250 apprentis. « La réforme nous l’a permis dès 2019, hors convention avec les régions. C’est du « plus » et ce n’est pas négligeable puisque cela représente 13% du nombre de personnes que nous avons entrées en formation tous statuts confondus à la dernière rentrée », explique Vincent Cohas.

Comme ce dernier, beaucoup d’autres dirigeants de l’enseignement supérieur se réjouissent de la fin d’un système malthusien : fini l’accord administratif de la Région préalable à l’ouverture d’une section d‘apprentissage ou d’un CFA. « Cette réforme est une bonne chose », estime aussi Eric Peyrol, vice-président délégué à la formation continue et tout au long de la vie à l’université Lyon 1 : « Des formations qui auparavant avaient du mal à se développer peuvent prendre leur envol plus facilement. Pour ouvrir une section d’apprentissage, il fallait en moyenne patienter deux ans et demi. Désormais dès qu’on le décide, en six mois d’ingénierie on peut ouvrir. Cela permet une grande réactivité par rapport aux besoins », pointe Eric Peyrol.

« A la rentrée 2018–2019, nous avions 817 contrats d’apprentissage et en 2019–2020 nous en comptions 1.137 soit 320 de plus. Il y a eu en fait un transfert des contrats de professionnalisation vers les contrats d’apprentissage du fait de la nouvelle loi. Et encore ce transfert eût été plus important si nous avions pu répondre à toutes les demandes des entreprises ! », souligne le vice-président de l’université Lyon 1 qui s’attend encore à un volume plus important de contrats d’apprentissage à la rentrée 2020–2021. « Les contrats pros serviront davantage à de la formation continue de courte durée ».

Des niveaux de financements au contrat plutôt rassurants

Pourtant, à l’origine, tout le monde dans l’enseignement supérieur n’avait pas applaudi avec enthousiasme. Ainsi les écoles d’ingénieurs s’étaient inquiétées plusieurs mois de ce que l’enseignement supérieur soit le dindon de la farce de cette réforme de l’apprentissage.

La CDEFI s’était dotée d’un observatoire des coûts de l’apprentissage pour engager des discussions avec les branches professionnelles et France Compétences sur la mise en adéquation entre les coûts de formation et le niveau de prise en charge. Le coût complet d’un apprenti ingénieur par an était estimé fin 2018 par la CDEFI à 10.000 € par an. L’annonce des niveaux de prise en charge au premier semestre 2019 a plutôt rassuré.

Des formations qui auparavant avaient du mal à se développer peuvent prendre leur envol plus facilement. (E. Peyrol)

« Les coûts qui ont été votés devraient globalement nous permettre de continuer à former des ingénieurs en apprentissage et de continuer à en faire un levier de croissance pour passer de 15% d’ingénieurs formés par cette voie à 25%« , observe Jacques Fayolle, président de la CDEFI et directeur de Télécom Saint-Etienne. Plusieurs dirigeants de grandes écoles de management à l’instar de Franck Bournois à la tête de ESCP Business School s’étaient inquiétés de ne plus pouvoir proposer autant de places en apprentissage, les niveaux de prises en charge proposés étant très inférieurs à leurs coûts totaux de formation.

« Il est vrai qu’à un moment nous craignions que le montant des prises en charge, les fameux « coûts-contrats«  soient très inférieurs aux coûts de nos formations mais nous avons été plutôt rassurés quand ces coûts ont été dévoilés« confie de son côté Denis Darpy, directeur du département Master Sciences des Organisations (MSO) de l’université Paris-Dauphine, qui compte quelque 1.400 apprentis parmi ses 8.500 étudiants.

« A Dauphine, 40% de nos diplômés en sciences sociales, économie, gestion ou droit le sont par la voie de l’apprentissage. On est donc en première ligne ! Cela fait 20 ans que nous en faisons », précise Denis Darpy qui, entre éléments positifs introduits par le nouveau système, salue la certitude sur les financements : « Avant nous étions toujours dans l’incertitude : l’entreprise allait-elle financer l’ensemble du coût de la formation annoncé via la région et la préfecture ? Il y avait une négociation. Selon les universités et les agents comptables on attendait d’avoir sécurisé les budgets et on n’engageait des dépenses qu’à la fin des contrats. Désormais les coûts sont certains et on peut les lisser dans le temps. Comme on est certain du revenu qu’on aura, cela permet d’avoir des moyens mieux fléchés vers l’apprenti : tutorat supplémentaire, voyage d’études, et autres activités confortant son insertion professionnelle“.

Un système désormais régulé par le marché

Reste que la loi du marché domine le nouveau système. Antoine Foucher, le directeur de cabinet de Muriel Pénicaud et père de la réforme ne s’en cache pas : « La philosophie du nouveau système repose sur la capacité du monde professionnel à réguler le système à la place de l’Etat et des régions. On passe d’un système administré à un système régulé par les branches et les entreprises », confie l’ancien directeur des relations sociales du Medef.

Désormais, ce sont donc les règles de l’offre et de la demande qui s‘appliquent et l’apprentissage n’est plus envisagé comme un élément de la formation initiale mais relève davantage de la formation professionnelle. Plusieurs acteurs de l’enseignement supérieur qui profitent déjà de la nouvelle dynamique créée demeurent vigilants : “Attention à ne pas casser l’existant. Le système est désormais régulé quasi uniquement par le marché et par la qualité », remarque ainsi Eric Peyrol pour l’université Lyon 1. “Il va falloir que nos formations soient attractives à la fois vis-à-vis des jeunes – car ils vont se retrouver face à une offre de formations beaucoup plus importante – et par rapport aux entreprises« .

Le vice-président délégué à la formation continue et tout au long de la vie se montre plutôt confiant et s’adapte à la nouvelle donne : « A Lyon 1, nous avons déjà la confiance des entreprises qui pourraient être tentées d’aller vers les formations moins chères. Nous avons noué des partenariats entre établissements avec par exemple l’université Lyon 3 et l’université de Saint-Etienne. Nous avons renouvelé notre confiance à Formasup, le CFA du supérieur avec lequel nous avons reconduit une convention sur trois ans. Nous avons également renouvelé des partenariats avec des CFA de branches (métallurgie, chimie, plasturgie, industrie, santé, textile…). »

« Travailler avec les branches nous permet de voir que notre offre correspond aux besoins : nos taux d’insertion professionnelle en licence pro (94%) et en master (96%) par apprentissage sont très bons ». Eric Peyrol compte aussi se servir de la réforme pour attirer en formation continue le public des salariés en entreprise.

Massification, clé de la réussite ?

Dans ce nouveau marché ouvert à tous, la massification pourrait bien être la clé de la réussite. « Pour nous une formation en alternance doit comporter 12 apprentis minimum“, confie Eric Peyrol. “Mais dans l’ensemble les niveaux de prises en charge proposés ne sont pas pénalisants pour nous. Une partie des frais est proportionnelle au nombre d’étudiants en alternance et une autre partie des frais est fixe. A Lyon 1, avec environ 2.000 alternants, le volume est tel que cela nous permet de réduire les coûts fixes“.

Un constat partagé par Xavier Révérand, directeur de l’école supérieure de l’alternance du groupe Cesi : « A partir du moment où vous êtes dans une logique de financement de l’apprenti et non plus du CFA, vous entrez dans une logique de point mort donc de remplissage important. On ne peut rentabiliser et équilibrer les coûts de la formation qu’à partir du moment où on a un certain nombre de gens », explique Xavier Révérand. « La logique de coûts au contrat accentue cette dimension d’industrialisation-massification des formations. Quand les coûts au contrat sont relativement bas, on ne peut arriver à vivre que si on fait des volumes conséquents de promotions. »

Risques d’hyper concurrence et de mauvais ciblage

« Nous restons vigilants sur les textes d’application », signale Denis Darpy pour l’université Paris-Dauphine. Et de pointer un décret prévoyant la minoration des coûts-contrats pour les établissements bénéficiant de fonds publics.

Le diable se niche toujours dans les détails et la Conférence des présidents d’université (CPU) s’est alarmée de ce que les coûts contrats alloués aux établissements publics d’enseignement supérieur puissent être minorés par certaines branches professionnelles au motif du versement par ailleurs de financements publics. « Nos établissements développent des formations en apprentissage en s’appuyant sur leurs coûts complets et malheureusement depuis de nombreuses années, l’argent public alloué n’est plus proportionnel au nombre d’étudiants qu’ils accueillent« rappelle la CPU.

« A Dauphine, nos formations en apprentissage lancées depuis dix ans le sont sans financement de l’Etat et sont autofinancées. On ne peut pas nous demander des coûts minorés“, confie Denis Darpy. “D’autant plus que les financements publics de l’université n’ont pas augmenté depuis 10 ans ».

Autre inquiétude plus globale, l’hyper concurrence : dans un marché ouvert à presque tous les vents, où n’importe quel organisme de formation ou entreprise peut ouvrir son CFA, comment ne pas casser l’existant qui a fait ses preuves, en particulier le rôle de locomotive de l’enseignement supérieur pour l’apprentissage ?

En quelques mois, au premier semestre 2019, plus de 550 nouvelles ouvertures de CFA avaient été enregistrées par les pouvoirs publics en plus du millier existant. « Il faut repenser les lieux de dialogues sur les territoires pour éviter que s’ouvre tout et n’importe quoi en matière d’apprentissage. Pour dialoguer de l’offre de formation et éviter de se concurrencer. La région jouait ce rôle dans l’ancien système », observe Eric Peyrol.

Enfin, même s’il faudra attendre trois ou quatre ans pour mesurer les pleins effets de cette réforme systémique, quid de l’apprentissage au niveau bac et infra bac ? Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse, et Muriel Pénicaud ministre du Travail, ont certes constaté un frémissement à l’issue de la classe de 3e pour les formations en apprentissage dans les nombres de vœux formulés via Affelnet. Mais si les nouvelles règles de l’apprentissage ne permettent pas de le faire décoller franchement au niveau bac et infra bac la réforme aura raté une grande partie de ses objectifs. Le scandale des 1,3 millions de jeunes de 18 à 25 ans en France ni à l’école, ni en emploi, ni en formation (les fameux NEET, not in education, employment, training) demeurera alors entier.